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Guadeloupe : La chasse aux Haïtiens s’organise

Témoignages du journaliste Maguet Delva

mardi 22 août 2006

Aéroport de Pointe à Pitre, Guadeloupe, vendredi 30 juin, 10 heures, la foule est déjà là . Compacte devant des comptoirs de compagnies de voyages bondés pour le premier départ des vacanciers. Air Caraïbes est ici chez elle. Son enseigne occupe plus de la moitié des surfaces de l’Aéroport, ses employés vont et viennent pour guider les voyageurs. Plus d’une vingtaine d’Haïtiens attendent calmement l’ouverture du comptoir quand six policiers, dont trois guadeloupéens, font leur apparition, armés jusqu’aux dents. Deux d’entre eux passent devant tout le monde et s’en vont murmurer quelque chose à l’oreille de l’hôtesse. Celle-ci fait un geste de désapprobation sans conviction comme si elle était résignée à s’exécuter. Un policier blanc s’en va et revient au bout de quelques minutes accompagné d’une dizaine de compatriotes menottés. A la file indienne, visages hagards, ils sont d’une tristesse qui en dit long, d’autres essayent de cacher leurs visages, surveillés par des policiers sur leurs gardes comme s’ils avaient affaire avec de dangereux gangsters. Un silence de plomb, de honte s’installe chez les voyageurs haïtiens.

On apprend qu’à chaque vol d’Air Caraïbes, le rituel est quasiment immuable des policiers arrivent plus de deux heures à l’avance pour enregistrer des Haïtiens arrêtés la veille, principalement dans les communes des Abymes, de Gosier et de Basse Terre. Des compatriotes tentent d’entamer une conversation avec l’un des arrêtés, il est vigoureusement repoussé par une policière. Vérification faite sur ses épaulettes, celle-ci ne relève pas de la police nationale mais de la municipalité de Pointe à Pitre, comme quoi la confusion des genres en cours dans cette dernière colonie française d’Amérique joue en défaveur de nos compatriotes. Après plus de trois heures d’attente une hôtesse haute comme trois pommes vient dire aux haïtiens que l’avion ne volera pas aujourd’hui. Sans aucune autre explication, elle distribue machinalement des cartes permettant aux voyageurs d’aller à l’hôtel, de manger aux frais de la compagnie. Air Caraïbes n’est pas à son coup d’essai, il déssert Haïti que si l’avion est rempli. Or un billet Pointe à Pitre-Port-au-Prince, Port-au-Prince-Pointe Pitre coûte plus de cinq cent euros. Malgré ce prix, la compagnie fait la fine bouche prétextant que le circuit Haïti est déficitaire.

Ce jour là , les policiers cherchent à expulser en urgence du territoire guadeloupéen 7 Haïtiens, selon nos informations. « Les indésirables » comme les appellent les policiers guadeloupéens, ont été embarqués sur un avion d’Air France à destination de Port-au-Prince comme n’importe quel voyageur. Par ailleurs, il arrive aussi que les autorités préfectorales de Basse Terre emprisonnent des ressortissants haïtiens parfois pour une période de trois mois, voire davantage sans qu’ils soient présentés devant un juge comme l’exige la loi. L’arbitraire, le non-respect du droit même les plus élémentaires des immigrés haïtiens est monnaie courante à la Guadeloupe. L’objectif des autorités françaises est de rassembler un maximum d’illégaux afin d’organiser leur rapatriement en nombre, économie oblige. En étroite collaboration avec le ministère de l’intérieur, la défense a mis à trois reprises des avions à sa disposition. Le 22 novembre 2005 plus de 56 haïtiens ont été débarqués à Port-au-Prince, suivis de deux autres groupes en janvier et mai 2006.

Un racisme anti-haïtien qui ne dit pas son nom

C’est avec l’arrivée de Nicolas Sarkozy au ministère de l’intérieur que la chasse aux Haïtiens a pris cette ampleur au point que certains policiers se croient autoriser d’aller arrêter nos compatriotes dans les plantations de canne à sucre, sur les marchés où ils vendent leurs récoltes. Partout à la Guadeloupe la chasse aux Haïtiens s’organise. La xénophobie voire le racisme anti-haïtien n’a pas de bornes ici au point que des initiatives politiques les visant nous font penser aux lois antisémites du gouvernement de Vichy interdisant aux juifs d’exercer certaines professions.

Ainsi la mairie de Pointe à Pitre sous la pression des élus iboïstes a pris en 2004 des mesures qui discriminent ouvertement les Haïtiens en les interdisant par exemple de vendre leurs produits agricoles sur le marché sous prétexte qu’ils ne payaient pas de taxes. Ces derniers mois certaines municipalités chaussent carrément les bottes du ministère de l’intérieur en interdisant à leurs tours aux vendeurs haïtiens d’écouler par exemple leurs productions agricoles. Ces restrictions, ces manquements au droit naturel, s’appliquent sans que personne à la Guadeloupe ne s’émeuve du sort des Haïtiens.

Cette chasse a ses terrains, ses lieux, son heure.

Les Abymes, la plus grosse commune de la Guadeloupe offre deux garanties aux autorités françaises dans leur politique d’expulsion. Non seulement, elle est proche de l’aéroport mais aussi c’est là que résident la plupart des compatriotes vivant à la Guadeloupe, surtout les clandestins, dit-on. La police fait régulièrement des descentes de lieu parfois à des heures indues pour rafler des compatriotes en situation irrégulière, ce qui a provoqué un déplacement vers les communes jugées plus tranquilles, comme Morne-à -l’eau et Petit-Bourg. Mais là encore, la police s’adapte.

En Avril, le ministère de l’intérieur a décidé de doter la Guadeloupe d’une cellule composée d’une quinzaine de policiers qui s’occupent désormais exclusivement de la communauté haïtienne avec pour objectif de traquer les illégaux. Les policiers ont des quotas à atteindre en matière d’expulsion. D’où un quadrillage du territoire guadeloupéen à la recherche de l’Haïtien à qui on n’applique même plus les lois du pays en matière de respect des droits de l’homme. Ces policiers ne passent pas toujours inaperçus tant ils brillent par leur zèle à traquer le gibier haïtien qui fait figure ici « d’indésirable ». Ils les arrêtent dans les champs de canne, chez eux, à la préfecture lorsqu’ils viennent pour régler des problèmes administratifs, parfois en sortant des discothèques, etc. En effet, samedi 1er juillet un bus en provenance d’Anse-Bertrand se rend à Pointe à Pitre. Il s’arrête à Morne à L’eau et aux Abymes, à l’entrée de Pointe-à -Pitre, trois policiers font signe au chauffeur de s’arrêter. Les passagers ne bronchent pas, ils connaissent le rituel et savent ce que recherchent les policiers. Ils font descendre trois personnes dont une femme avec un bébé qu’ils considèrent comme des Haïtiens. Un des policiers sans doute au courant de leur signalement les ordonnent de le suivre. Un guadeloupéen choqué par ce qui se passe crie : « c’est la Gestapo ici ». Un des policiers se fâche et décide de le soumettre à une vérification d’identité. Ce dernier exhibe sa carte d’identité et lance une dernière diatribe au policier en parlant des « nazis ». L’interrogatoire des Haïtiens allait durer plus d’une heure. Le chauffeur s’impatiente, qu’importe, tant pis pour les voyageurs, la chasse aux Haïtiens ici est une priorité nationale.

Comment on humilie les voyageurs haïtiens a l’aeroport de Pointe-à -Pitre ?

Finalement les passagers à destination de Port-au-Prince se sont retrouvés à nouveau, dimanche 2 juillet, à l’aéroport, toujours dans l’attente de pourvoir rentrer dans leur pays. D’entrée de jeu, l’hôtesse nous a dit qu’elle n’est pas sûre du vol, mais elle promet de nous fournir davantage d’informations vers 15 heures, tandis que l’avion à destination d’Haïti était prévu à 14 heures 30. Il va falloir patienter encore et encore.

Il est dix sept heures lorsqu’une voix s’élève enfin des haut-parleurs dans la nuée des passants pour que les voyageurs à destination d’Haïti sachent enfin qu’ils n’en toucheront pas le sol. Entre temps, les policiers guadeloupéens vont et viennent avec des compatriotes toujours menottés comme des harengs. Cette fois leur dispositif a légèrement évolué par rapport à ce que nous avions constaté la dernière fois. Ils ne sont plus six, mais dix. Toujours d’une arrogance sans faille, une jeune femme policière blanche, à peine 23 ans, lance à un prisonnier haïtien qui devrait avoir lui plus de soixante : « dépêchez—vous, je n’ai pas que cela à faire ». L’homme a l’air hagard mais c’est surtout la honte qui domine dans cette situation.

Ils sont une douzaine, trop nombreux pour être strictement surveillés. Nous avons pu arracher quelques mots, surtout prendre quelques noms, le temps de poser quelques questions. Qu’est ce qui passe dans la tête d’un homme qui vivait dans un pays depuis plus de dix ans, qui se retrouve par un beau matin d’été guadeloupéen à l’aéroport pour être expulsé ? En s’approchant un peu plus d’un prisonnier nous remarquons que chacun a une espèce de dossard sur lequel est écrit quelque chose. Stupéfaction, il s’agit de la date de leur arrestation écrit certes en petits caractères, le lieu de l’arrestation, nom, prénom et un lapidaire commentaire qui en dit long : « indésirable, expulsion immédiate ».

Mais l’Haïtien qui voyage, détenteur d’un visa délivré en bonne et due forme par l’ambassade de France à Port-au-Prince, n’est pas non plus le bienvenu. Il doit subir en règle les humiliations des policiers de l’air et des frontières qui ne ménagent pas leurs efforts pour les dégoûter de remettre les pieds sur le sol guadeloupéen. Pour eux, humilier un voyageur haïtien est devenu un réflexe, un comportement normal, admis par tous comme une règle intangible. Ainsi, un compatriote médecin invité à un congrès qui relève de sa profession est resté plus de trois heures à subir un interrogatoire musclé de la police de l’air et des frontières. Bien que notre médecin possède sur son passeport plus d’une dizaine de visas français et a effectué plus de quinze voyages en territoires français, dont 5 à la Guadeloupe, les policiers jugent qu’il est susceptible de faire une demande d’asile politique, donc de vouloir rester illégalement à la Guadeloupe. Son calvaire continu jusqu’à ce que l’organisme qui l’avait invité s’inquiète de son sort et s’en va le chercher à l’aéroport. On le trouve finalement aux mains des policiers au bord de l’épuisement. Son calvaire n’est pas terminé pour autant. L’association est obligée de signer sur l’honneur que le médecin haïtien repartira bien chez lui. C’en est maintenant trop pour le compatriote qui décide de rentrer incognito à Port-au-Prince au grand désespoir de ceux qui comptaient sur son intervention pour savoir un peu plus sur l’évolution du VIH (sida en Haïti). Ses confrères guadeloupéens et martiniquais ont décidé de porter plainte contre la police pour excès de zèle.

Samedi 1er juillet rendez-vous pris avec un ami guadeloupéen avocat qui souhaite nous faire vérifier ce qu’il appelle « l’obsession haïtienne des autorités françaises à la Guadeloupe », nous nous sommes rendus aux Abymes, la plus grosse commune de l’île. Il est un peu plus de vingt heures, des policiers en civils, en uniformes montent la garde à un carrefour stratégique. Ce sont les policiers en civils qui contrôlent les passants, du moins ce qu’ils reconnaissent comme Haïtiens ou Dominiquais. Entre les deux, il arrive que les policiers se trompent gravement au point d’embarquer pour Haïti, en février 2005, 4 dominiquais parmi les rapatriés.

Ce soir là , après des contrôles qui ont duré environ trois heures, plus de vingt personnes ont été contrôlées. On peut dire que la pêche a été bonne pour les policiers, car une dizaine de compatriotes n’ont pu justifier leur séjour, c’est-à -dire qu’ils n’ont pas de papiers. Ils se sont retrouvés aussitôt en prison pour être expulsés le plutôt possible. Au-delà des comportements parfois odieux des policiers guadeloupéens qui relèvent d’avantage de la paranoïa ou d’une psychologie toute sarkozienne, l’opinion publique à la Guadeloupe est quasi inexistante. Elle accepte sans sourciller les violations flagrantes des droits de l’homme une fois que c’est au nom de la lutte contre l’immigration haïtienne. A en croire certains, celle-ci est entrain de battre tous les records. L’envahisseur haïtien est partout, l’image de l’Haïtien gros travailleur en prend un coup et fait place à des « dealers, voleurs, violeurs, vaudou ». Ces clichés déversés comme des torrents sur Canal 10 par Ibo Simon pendant plus d’une décennie ont laissé des traces dans la société guadeloupéenne au point qu’aujourd’hui nous demandons parfois si ce que nous entendons de la bouche de certains guadeloupéens à l’égard de nos compatriotes sont réels ou s’il s’agit d’une campagne de désinformation bien orchestrée par certains milieux. D’autant plus qu’Ibo Simon a fait des émules en la personne de M. Henri Yoyotte qui dispose d’une station de radio, « radio contact ». Là encore, la tactique ressemble comme deux gouttes d’eau à celle utilisée par Ibo Simon. Il faut désinformer à outrance en manipulant, quitte à grossir les chiffres de l’immigration haïtienne.

Selon le sieur Yoyotte, tête pensante et général en chef des xénophobes guadeloupéens, il y a plus de 100.000 haïtiens à la Guadeloupe, sans compter les clandestins deux fois plus nombreux. De tels mensonges ne résistent pas à l’examen, mais ça marche du tonnerre. Pour avoir le cœur net, nous sommes allés à la préfecture de Basse Terre qui dispose des chiffres en matière d’immigration haïtienne à la Guadeloupe pour l’année 2004 : 27452 immigrés en situation régulière soit 6,5% de la population, dont 12433 Haïtiens 2,8% (...) Précisions importantes de la préfecture, parmi les 12433 Haïtiens, 9933 sont détenteurs de la carte de séjour et 2500 ont déposé un dossier de demande d’asile politique. Quant aux compatriotes en situation irrégulière, la préfecture avance le chiffre de 3000.

Cela ne sert strictement à rien non plus d’essayer de contrecarrer un type qui dispose de dix heures d’émissions sur une antenne de radio qui répète inlassablement toujours les mêmes choses. Dans une démocratie, cela s’appelle de la propagande. Ici le Conseil supérieur de l’audiovisuel ( CSA) est peu regardant sur la déontologie, sur ce qui se dit à l’antenne. En métropole, « radio contact » serait déjà fermée non seulement pour racisme mais aussi pour non maîtrise de l’antenne, car ceux qui animent des émissions sur « radio contact » se donnent bestialement dans l’anti-haïtianisme primaire.

Il faut ranger madame Octavio Lozio dans cette catégorie. Médecin de son état, elle intervient régulièrement sur l’antenne mais toujours dans un seul but : orchestré la campagne anti- haïtienne. On la retrouve, cette même madame Lozio qui est à la ville, la compagne de Yoyotte, à la tête d’une liste aux dernières élections régionales. Une liste qui promet aux Guadeloupéens de nettoyer la Guadeloupe des « racailles haïtiennes ». Radio Contact est à l’initiative de plusieurs pétitions demandant aux autorités de stopper l’immigration haïtienne en incarcérant systématiquement les Haïtiens qui entrent illégalement à la Guadeloupe.

Heureusement, tout le monde sur ce petit bout d’île ne verse pas dans l’obsession haïtienne, au contraire des Guadeloupéens s’interrogent sur le fondement de cette xénophobie. Cette dernière est l’œuvre d’une minorité agissante, et comme telle, elle fait beaucoup de bruits et ment systématiquement sur les données. Enfin, elle mobilise, organise des pétitions, interpelle les élus. Radio contact bien que mise en demeure à plusieurs reprises par le CSA pour incitation à la haine raciale contre la communauté haïtienne, continue de répandre son venin.

Sources : http://www.medialternatif.org/alterpresse/spip.php ?article4989 Soumis à AlterPresse le 31 juillet 2006


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