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La question de la double nationalité

Faut-il oui ou non accorder la double nationalité à tous les Haïtiens qui le souhaitent ?

jeudi 31 janvier 2008

Par Wiener K. FLEURIMOND

Faut-il oui ou non accorder la double nationalité à tous les Haïtiens qui le souhaitent ou qui y ont droit ? Nous pensons que le besoin se fait sentir de plus en plus et le bon sens même, l’impose. Aujourd’hui, personne ne le conteste, la diaspora haïtienne est le poumon économique et financier de la société haïtienne tout entière. Pas une famille n’a un membre si éloigné soit-il, se trouvant à l’étranger et envoyant même de manière irrégulière sa quote-part en Haïti. Ce geste devient une quasi-obligation, plus qu’un devoir.

Cette diaspora dont le nombre augmente chaque jour par différents canaux est estimée a plus de deux millions d’âmes pour une population haïtienne de huit millions d’habitants, certains l’évaluant à dix millions. Il devient impossible, selon toute logique, pour un Etat d’ignorer ou de laisser à l’abandon un pan entier de sa population, sous prétexte que ces ressortissants se trouvent loin de la terre natale, alors qu’en même temps, cet Etat réclame l’aide, tous les jours, de ces fils qu’il prétend ne pas reconnaître.

Il faut être cohérent et sérieux. Si cette diaspora doit avoir des devoirs, il lui faut aussi des droits reconnus, indiscutables, constitutionnels. Or vu les circonstances, l’évolution du monde et la mutation de la société haïtienne elle-même, la meilleure façon pour garantir les droits et devoirs de ces deux millions sinon plus, de ces Haïtiens d’origine vivant à l’étranger, est de leur accorder la possibilité d’exercer leurs pleins droits et de devoirs dans un cadre non spécifique mais très bien défini, afin d’éviter tout abus. Ce premier geste de reconnaissance nationale est bien évidemment la double nationalité.

Si des pays développés comme le Canada ou la France facilite de plus en plus le départ des cades haïtiens, il doit y avoir forcément une raison. Les dirigeants haïtiens ne peuvent plus se permettre de laisser pomper ou de partir sans aucun espoir de revenir les meilleurs éléments du pays. Or, la première des garanties qu’on puisse les donner c’est la facilité de pouvoir revenir concourir à tous les échelons et ce, dans tous les domaines de la vie nationale, à n’importe quel moment et quelle que soit leur nationalité.

Nombre d’universitaires, chercheurs, techniciens, journalistes, hauts fonctionnaires se sont retrouvés soudains bannis d’Haïti, faute d’une nationalité qu’ils étaient contraints de prendre, afin de pouvoir exercer librement et faciliter leur évolution dans ces pays où ils professent. Sans parler des milliers d’anciens exilés politiques, n’ayant pas le choix, obligés de s’intégrer dans la société d’accueil pour se protéger des sbires à la solde des régimes néfastes de Port-au-Prince. Bref, les circonstances poussant nombre de compatriotes à solliciter la nationalité étrangère, sont multiples et cela personne ne peut le nier. Certes, ils n’étaient pas obligés de le faire, mais on peut toujours poser la question autrement.

Est-ce mieux, de posséder une nationalité étrangère et être au service d’Haïti ou de rester Haïtien et être au service d’un pays étranger ? Il serait intéressant d’avoir une réponse à cette problématique qui relève plus d’un débat sémantique qu’autre chose, tant la réponse semble évidente pour tout haïtien. Une petite histoire comparée ne ferait de mal à personne. Prenons l’exemple le plus réaliste, celui de l’Etat d’Israël. Sa création, sa population, ses élites, ses dirigeants, son financement, tout ou presque, vient de la diaspora juive.

Qui ne se rappelle Exodus, ces bateaux bondés sur les quais de Marseille, en partance pour la Palestine, en vue de consolider l’indépendance de l’Etat Hébreu. Mais, il n’y avait pas que Marseille, la diaspora juive venait de partout et aujourd’hui encore, cet Etat, l’un des plus puissants au monde en un peu plus d’un demi-siècle s’est constitué grâce à sa diaspora. Ce qu’on oublie toujours de dire, tous ces gens-là n’ayant jamais connu d’autres pays que leurs lieux de naissance, c’est-à-dire la France, le Canada, les Etats-Unis, l’Allemagne et le reste du monde n’étaient pas Israéliens au départ.   Mais ils appartenaient tous, à une culture commune, le judaïsme. Les plus intransigeants aujourd’hui, sur la question de l’occupation de la Palestine, ce sont eux. Les plus nationalistes, les plus patriotes ce sont eux. Alors qu’ils ont tous ou en grande partie, la double, voire la triple nationalité. Dans ce cas, nous ne voyons pas pourquoi les Haïtiens, qui n’ont pas de leçon de patriotisme et d’amour de la patrie à recevoir de personne, ne peuvent pas posséder une nationalité étrangère, sans jamais penser un instant à nier leur « Haïti Thomas ». Et ça aussi, tout le monde le sait. C’est vrai, qu’il y a eu quelques précédents historiques néfastes, l’ « affaire Luders » par exemple.

Mais, les Législateurs devraient poser quelques gardes fous, afin d’éviter la honte nationale face à des puissances étrangères, dont les ressortissants pourraient réclamer leur protection, quand ils commettent des actes en infraction à la législature haïtienne, comme le faisait remarquer à juste titre le professeur Leslie F. Manigat, lors d’une visite à Paris, dans le cadre sa campagne présidentielle en février 2005. Interroger abondamment sur la question de la double nationalité, étant officiellement candidat à la première magistrature suprême, Leslie Manigat, s’est dit ne pas s’opposer à une évolution sur la question, pour ne pas dire qu’il est pour la double nationalité. Reconnaissant l’apport considérable de la diaspora haïtienne dans tous les domaines, l’ancien Président Manigat avait proposé d’assortir la double nationalité de certains verrous constitutionnels, afin de mettre tous les Haïtiens sur le même pied d’égalité. Par exemple, une fois que ces binationaux seront en Haïti, ce sont les lois haïtiennes qui s’appliqueront à eux. En d’autres termes, ils seront des Haïtiens à part entière, et dès qu’ils quittent l’espace territorial d’Haïti, ils deviennent ressortissants de l’Etat dont ils portent la nationalité.

Cette position médiane nous paraît assez logique et juste, vue la faiblesse de la diplomatie haïtienne et la non-existence d’une force armée nationale pouvant faire face à une réclamation d’un Etat puissant pour un Haïtien naturalisé à l’étranger. Certes, cela pourra toujours se produire, mais le gouvernement aura pour lui l’appui de la Nation, la force des lois haïtiennes et de ce fait, l’appui des Nations Unis et du reste de la Communauté Internationale pour s’opposer à une agression étrangère, comme ce fut le cas au XIXe siècle. Plus de deux cents après, Haïti ne doit pas avoir peur de la double nationalité pour ses ressortissants qui le souhaitent et cela ne représente aucunement un handicap pour la vie politique haïtienne, encore moins pour le développement du pays.

C’est le contraire qui risque de produire l’effet inverse. Tout simplement, il faut prévoir des verrous, des gardes fous, afin d’éviter un système de deux poids et deux mesures et dissuader ainsi, ceux qui pourront tenter d’en abuser. De l’ « affaire » Marie-Claude Bayard à celle de Dumarsais Mécène Siméus, et aujourd’hui, le sénateur Roudolph Boulos, il est peut-être temps, pour les politiques, la Société civile et la diaspora d’entamer un débat sérieux sur la question dans le cadre des travaux, conduit par le l’historien Claude Moïse, sur l’amendement de la Constitution, afin de trouver un consensus clair et sans équivoque à une question qui, d’une manière ou d’une autre, sera toujours sur le tapis, tant que la Constitution de 1987, étant en principe le Corpus réunissant tous les Haïtiens, ne sera pas amendée dans son article 15, stipulant : « La double nationalité haïtienne et étrangère n’est admise dans aucun cas », afin de lever ce vieux contentieux entre l’Etat d’Haïti et la société haïtienne de la diaspora.

Lire aussi : L’article de Sergo Alexis


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